Gottfried JOST, “LE SCHLOOFER VON DORELSE”
Gottfried JOST, “LE SCHLOOFER VON DORELSE”
(4 Octobre 1846 - 6 Juillet 1912)
Gottfried Jost dit “le Schloofer de Dorlisheim” est un guérisseur connu internationalement qui est né et a vécu à Dorlisheim.
Son surnom signifie “dormeur” et fait référence au protocole de soin qu’il utilisait lors des séances avec ses patients.
La nature de sa pratique thérapeutique n’a jamais été véritablement identifiée et lui a causé des ennuis récurrents avec les institutions médicales officielles et la justice.
La clientèle du Schloofer, quant à elle, n’a jamais questionné cette pratique et s’est montrée nombreuse, fidèle et constante.
Enfance et initiation
Gottfried Jost naît dans une famille paysanne, à Dorlisheim, et vit une enfance tout à fait ordinaire dans l’Alsace agricole de la moitié du XIXème siècle.
Ses parents sont attentifs à son éducation et à son avenir, aussi lui suggèrent-ils d’apprendre le métier de tailleur qui, selon eux, lui offrirait une vie plus confortable que la leur.
Il partira perfectionner son apprentissage à Paris à 22 ans, en 1867.
Dès 1864, Gottfried Jost et ses proches observent l’apparition d’états singuliers chez le jeune homme.
En effet, en présence de Herbstmeyer, un ami de la famille, Gottfried Jost ressent un malaise intense qui se prolonge parfois en des accès de fièvre qui le maintiennent alité.
Parfois même, le malaise annonce l’arrivée d’Herbstmeyer.
Alors, seule une imposition des mains de Herbstmeyer sur le visage parvient à calmer le jeune homme.
L’histoire retient ces moments de grande sensibilité physique et psychique comme la première expression du don de Gottfried Jost.
A Paris, Jost est invité par un ami dorlisheimois, Karl Durr, à assister à une conférence du Dr Desjardins sur l’hypnose.
La culture des Salons est encore très forte à Paris dans la seconde moitié du XIXème siècle et découvertes, médecine et occultisme en constituent un ressort prépondérant.
Sceptique, Jost refuse la demande du Dr Desjardins de travailler sur lui.
En effet, lors de la conférence, Desjardins détecte une résistance particulière de Jost à l’hypnose.
Le hasard les réunit quelques temps plus tard et Desjardins soigne Jost d’une plaie ouverte au genou, sous hypnose et sans que celui-ci ne ressente de quelconque douleur.
Pendant les deux années suivantes, Jost assiste Desjardins dans ses conférences sur l’hypnose et constitue l’objet de ses recherches d’une manière que Jost finira par trouver abusive.
Lors des séances d’hypnose, il n’est pas inhabituel que Jost soit brûlé à l’allumette ou qu’une veine lui soit entaillée.
Ces actes ne déclenchent pas de douleur chez Jost et sont pratiqués afin de prouver la force du pouvoir de l’esprit.
Ayant été utilisé comme cobaye pendant deux ans, sa santé s’est affaiblie.
Il met fin à ses relations avec Desjardins abruptement et séjourne deux mois à Londres.
Gottfried Jost a parfaitement conscience de pouvoir accéder à un état de sommeil hypnotique au cours duquel il semble faire l’expérience d’un accroissement considérable de ses capacités sensorielles.
Il semble par ailleurs pouvoir désigner l’origine physique et psychique du trouble d’une personne malade et indiquer la démarche thérapeutique à suivre.
C’est donc en modifiant son propre état de conscience qu’il apporte une réponse aux questions qui lui sont posées.
Dès lors, la nature de son intervention ne cessera d’être questionnée : est-il médium, magnétiseur , simple guérisseur, hypnotiseur ?
Aucune réponse définitive ne sera bien entendu apportée à ces interrogations qui, si l’on en croit les témoignages, n’ont que peu préoccupé le Schloofer.
Behandler kranken Menschen - Guérisseur de personnes malades
A son retour de Londres, en 1870, Gottfried Jost séjourne à Wiesbaden afin de prendre soin de sa santé.
Le repos qu’il cherchera ensuite chez ses parents, à Dorlisheim, est rapidement troublé par les sollicitations des villageois.
Après qu’il ait accepté de venir en aide à une somnambule - dont il ignore comment elle a eu connaissance de ses talents - les demandes affluent et il s’installe à Strasbourg, rue de la Mésange, comme Guérisseur de personnes malades.
Le titre qu’il se donne décrit parfaitement sa vocation.
Il n’est pas médecin mais peut venir en aide aux personnes malades avec des moyens qui lui sont propres.
Le déroulement d’une séance est le suivant : le Schloofer est mis en état de sommeil hypnotique par un tiers - dans un premier temps, sa mère, puis sa nièce, Mme Wolff, sage-femme.
L’état hypnotique est maintenu pendant 8 à 10 consultations, après quoi, le Schloofer est réveillé puis de nouveau hypnotisé.
Le patient donne sa main à tenir au praticien qui la maintient plusieurs minutes.
Il est parcouru de spasmes et de tremblements et parvient inévitablement à proférer des mots rapides et mal articulés qui contiennent le diagnostique et la prescription - des plantes médicinales.
L’assistante de Jost les note et les transmet au patient.
Une consultation peut également avoir lieu sans la présence du malade : il faudra alors soumettre au Schloofer un vêtement qui a touché la peau du malade.
Dans son état de transe hypnotique, Jost explique voir l’intégralité du corps du patient dans une lumière phosphorescente et les zones malades dans un rayonnement différent.
Il est alors en capacité de réaliser un diagnostique.
Le succès est très rapidement au rendez-vous et les consultations passent de 3.20 Marks à 4.00 Marks afin de ralentir le développement de la clientèle.
Le succès du guérisseur peut s’expliquer par différentes raisons.
Tout d’abord, la tradition du recours aux guérisseurs en zone rurale est ancestrale et la médecine moderne et sa pharmacopée nouvelle ne sont accessibles que depuis quelques dizaines d’années, en dehors des villes, et encore très coûteuses.
De plus, à la différence du médecin académique, le guérisseur possède le même langage que celui des malades et ses prescriptions sont essentiellement des mélanges de plantes donc naturelles.
Les effets secondaires des médicaments modernes effraient à la fin du XIXème siècle.
Enfin, le succès des guérisons opérées par le Schloofer constituent l’assise de sa réputation, qui sera portée jusqu’au Etats-Unis et en Afrique.
Le Schloofer reçoit de 40 à 50 personnes par jour et attire l’attention des autorités médicales et judiciaires.
Le Conseil Médical de Strasbourg
En 1874, sur l’impulsion du Dr Krieger, le Conseil Médical de Strasbourg dépose un plainte à l’encontre de Gottfried Jost pour charlatanisme.
Le Schloofer s’acquitte d’une amende mais c’est une accusation d’escroquerie émanant des mêmes plaignants qui le contraint à une peine de prison de 4 mois en 1882.
Il décide de s’installer à Dorlisheim afin de pouvoir exercer loin des pressions que Strasbourg lui impose.
Il fait construire la villa Monplaisir et s’adjoint les services du Dr Grosse.
Le médecin moderne rédige et signe les ordonnances et Gottfried Jost espère mettre un terme à la suspicion des autorités envers ses activités.
Afin de se prémunir davantage d’éventuelles attaques judiciaires, le prétexte donné pour la construction de la villa est celui de l’hébergement d’une fabrique de cigares.
Le Schloofer travaille dorénavant 5 jours par semaine.
Les patients viennent à Dorlisheim en train et sont pris en charge par la famille Jost dès leur arrivée en gare.
Les patients qui ont fait le plus long voyage sont prioritaires dans la distribution des numéros de passage.
Des wagons supplémentaires sont ajoutés au trains à destination de Dorlisheim.
Le commerce local bénéficie grandement de cette affluence.
La réussite du Schloofer ne rencontre pas d’inimitié à Dorlisheim.
Au contraire, elle rayonne sur l’ensemble du village.
Les témoignages le décrivent comme un homme bon et généreux qui appliquait la gratuité de ses soins aux villageois et aux nécessiteux.
Le procès qui se tient à Saverne en 1894 est de nouveau intenté à Gottfried Jost par le Dr Krieger et le Conseil Médical de Strasbourg.
Les documents historiques font apparaître qu’il s’agit en substance de la condamnation morale d’un homme davantage que de celle de pratiques médicales qui auraient été jugées non conformes.
Les pratiques thérapeutiques du Schloofer sont le prétexte d’un procès aux accents moralisateurs qui fascine toute la région.
Gottfried Jost est condamné à une amende de 900 Marks et à une peine de 16 mois de prison, qu’il effectuera à Mulhouse.
Le Dr Grosse paiera quant à lui une amende de 325 Marks et Mme Wolff, 105 Marks.
Gottfried Jost reprend ses activités à la villa Monplaisir à sa sortie de prison, mais n’exercera plus sous hypnose.
Il termine ses jours à Dorlisheim et, à son décès, reçoit des funérailles exceptionnelles.
L’épouse de Gottfried Jost, décédée en couches en 1882, repose dans la partie catholique du cimetière de Dorlisheim.
Son époux, quant à lui, repose du côté protestant mais les deux sépultures se jouxtent.
En effet, le muret qui séparaient les deux secteurs confessionnels a été abattu afin de permettre aux époux Jost de reposer l’un à côté de l’autre.
Ultime hommage d’une municipalité aux contributions d’un homme.
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