"LES ÉPICERIES VILLAGEOISES"
Les épiceries villageoises, commerces de proximité, assuraient un service indispensable dans chacune de nos communes. Autour de 1920, les 400 habitants de Réparsac s'approvisionnent dans trois épiceries dont les souvenirs permettent encore d'en conter la mémoire.
La première, celle de la famille Moraud, dont l'histoire s'harmonise avec l'épicerie de Marie Broussin, et puis le magasin de Pierre et Ida Jobet, sans oublier, malgré sa courte existence, celui de Lucia Etourneaud.
L'épicerie Moraud, la plus ancienne
Nous retrouvons à nouveau la famille Moraud. Celle du bourrelier qui a si bien survécu en s'adaptant aux évolutions du siècle (voir « l'écho réparsacais » - septembre 2011).
Fondée en 1890, l'épicerie Moraud préfigure très vite ces commerces alimentaires à vocations multiples : non seulement toute l'alimentation, mais aussi la quincaillerie, la mercerie, l'habillement (dont les blouses blanches des salariés de la laiterie « Grand'Ouche »), la papeterie, les articles de chasse, le quotidien régional, des idées pour les cadeaux...
Précédant le supermarché actuel, la magasin complète sa gamme de service avec un distributeur d'essence « Shell » dès 1933, jusqu'en 1987. Car la voiture se démocratise et les premiers tracteurs débarquent : jusqu'à 12 000 litres vendus par mois ; sans oublier le « mélange » pour mobylettes, fort utilisées à l'époque.
Discernant l'évolution de la distribution, l'épicerie adhère à l'un des premiers groupements d'achats « Unico », devenu depuis « Super U » Marc Moraud deviendra même vice-président des « épiciers indépendants de la Charente » : se regrouper pour résister et durer...
Chacun se souvient d'Eva, la femme de Pierre Moraud, et plus tard de Jane Moraud, aux commandes du magasin. Sans autre horaire que le service quotidien et permanent d'une clientèle de voisinage.
Malgré cette forte implantation locale et cette ténacité, l'épicerie a du céder progressivement la place aux « grandes surfaces » des villes voisines, avec leurs prix concurrentiels.
La « Charente Libre » du 2 août 1990, titre à son sujet : « l'épicerie baisse le rideau », et le journaliste de noter : « Réparsac gomme 100 ans de son histoire ».
Le couple Jane et Marc Moraud constate que « depuis les années 80, l'entreprise marchait au ralenti. Nous avions l'impression d'être là pour dépanner les gens qui avaient oublié d'acheter du beurre ou une bouteille de lait au supermarché. Les clients se faisaient de plus en plus rares ».
Et puis, à cette époque, ayant dépassé leur 65 ans ils méritaient bien quelque repos. Car s'il leur arrivait de prendre parfois un peu de vacances, le magasin n'a jamais connu de fermeture. Avec un brin de malice sympathique et d'optimisme fondé, le journal, déjà cité, concluait : « Récupérer les locaux de l'épicerie familiale tttttEva Moraud, l'épicière et son fils Marc, en 1941 ttttpour agrandir à la fois l'entreprise florissante de décoration (ancienne bourrellerie) et la maison d'habitation, n'est pas, tout compte fait, une si mauvaise affaire ».
Sauf que la vente du stock, lors de la fermeture, à une « solderie professionnelle » en échange d'un chèque sans provision n'était pas non plus « une si bonne affaire ».
L' « épicerie couloir » de Marie Broussin
Auguste Moraud figure sur le monument aux morts de la guerre 1914-1918. Sa veuve, Marie, épouse alors Henri Broussin, le forgeron.
Au cours des années 20, et durant quelques années, Marie Broussin tient une petite épicerie située entre la bourrellerie et l'épicerie Moraud. Une sorte d'intermède au temps difficile vécu par la famille du fondateur de la bourrellerie de Réparsac.
Quelle est étroite cette petite boutique, à peine trois mètres de large, difficile d'en concevoir un logement complet pour le couple Broussin.
Alors Abel Broussin, menuisier et frère d'Henri, leur fabrique une petite maison en bois, dans leur cour : deux pièces dont une chambre.
Après avoir servi de garage à Marc Moraud, ce vestige d'un passé pas si lointain, demeure aujourd'hui chez Pierre Croizet. Son père Paul également menuisier, en fait l'acquisition en 1946.
Marie, la « tata » des petits-enfants d'Auguste Moraud, passera le reste de ses jours chez le « bourrelier-épicier ».
Le « brancardier de la Somme » devient épicier
Les guerres ont toujours bouleversé la vie des hommes comme en témoigne l'histoire de Pierre Jobet, né en août 1870. Jusqu'aux hostilités de 1914, il est cultivateur à Réparsac...
Mais à quarante quatre ans, réquisitionné sur le front de la Somme comme brancardier, les horreurs du conflit ne lui sont pas épargnées. D'autant qu'il revient blessé, comme tant d'autres.
« Il a tellement souffert moralement et physiquement, raconte son arrière petite fille, Nicole Villemonté, qu'à son retour il est dans l'incapacité de reprendre son exploitation agricole.
D'où sa décision, en 1919, de devenir épicier, avec son épouse Ida, tout près de l'ancienne poste.
« On y trouve de tout dans ce petit magasin : de l'épicerie, de la mercerie, des sabots, des cartes postales du village... » note Reine, la maman de Nicole, dans un album photos, très documenté sur l'histoire de la famille.
Leur fille Hélène, avec son mari, Albert Verron né en 1884, vont assurer la relève sur la ferme de Pierre Jobet.
Il faut reconnaître qu'Albert n'a pas été gâté par la vie : l'armée l'a mobilisé durant sept ans, car il terminait son service militaire lorsque la guerre éclate... Et puis au décès de son père Edouard, dû à un cancer, il n'a que onze ans. Ce père qui fût le premier pépiniériste de la commune.
Pierre Jobet décède le 30 Mai 1939 : signal de la fermeture prochaine de l'épicerie de l'ancien brancardier de la Somme.
Ida lui survivra longtemps encore, jusqu'en 1970, à 95 ans.
Tous ces petits commerces de proximité assuraient d'abord un service à la population locale. Tôt ouverts le matin, ignorant l'horaire de fermeture, ils permettaient aussi un appoint à des revenus à peine suffisants.
Albert Verron : 7 ans d'armée pour un cultivateur
Epicière par nécessité
Lucia Etourneaud, née Brandy, durant une dizaine d'années (à partir de 1924) va tenir une épicerie, à gauche de l'ancienne poste.
James; son aîné vient de naître et Guy quatre ans plus tard. Cette activité marchande lui apporte un revenu supplémentaire.
Des problèmes familiaux l'obligent à changer à la fois de logement et de travail. L'armée lui confie alors la fabrication de vêtements; un salaire bienvenu pour l'aider à élever ses deux enfants.
Elle mourra relativement jeune en 1942, à 44 ans, laissant deux fils de 14 et 18 ans, lesquels, heureusement, se trouvent déjà en situation professionnelle...