L'Eglise Prieurale

Cette église prieurale est un des grands monuments romans de l’Angoumois.

Architecture

Dédiée à Notre-Dame, l’église était partagée entre la communauté religieuse et la paroisse sous le vocable de Saint-Maur. On ne sait précisément si la paroisse utilisait une partie de la nef ou le bras méridional du transept. La porte située sur la façade sud du transept, par laquelle on entre dans l’église aujourd’hui, a peut-être été percée à la fin du Moyen Âge, pour l’usage paroissial.

L’église romane présente un plan en croix latine formé d’une nef longue et étroite (30 m à l’origine) divisée initialement en trois travées et recoupée par un transept ample couvert à sa croisée d’une coupole sur pendentifs. Le sanctuaire hémicirculaire achève l’édifice à l’est.

Le chevet et le transept de l’église ont été probablement construits en premiers, en bel appareil de pierre de taille. La vaste abside est rythmée d’arcades dans l’esprit de la cathédrale d’Angoulême. Une succession de grands arcs portés par des colonnes engagées englobent les baies largement ébrasées et dotées de colonnettes.

Le décor sculpté est présent sur la plupart des chapiteaux des arcades et les colonnettes des baies du chevet. « Un grand nombre de corbeilles sont tapissées d’un décor végétal dense et foisonnant, fait de tiges entrecroisées qui se prolongent par un grand nombre de feuilles en demi-palmette. Dans certains cas ces feuillages sont peuplés de personnages, ou de petits masques (…) ».

Les corbeilles sont peuplées d’enchevêtrements d’animaux, de personnages, de monstres et même de lions retournés (petit chapiteau à l’amorce de la première arcature de l’abside). « Ces thèmes sont courants dans les pays de la Charente et offrent un traitement caractéristique du courant issu du grand chantier angoumoisin de la cathédrale à partir des années 1120 ».

Les bras du transept de longueur inégale s’ouvrent à l’est sur des absidioles. La croisée du transept est surmontée d’une coupole sur pendentifs, qui porte le clocher carré d’un seul niveau. Elle ne paraît pas avoir été remaniée. « Le choix de ce type de coupole, associée à une grande abside et des bras de transept de même largeur que la nef, a contribué à créer une volumétrie très ample, et un effet spatial d’une grande monumentalité (…) Là aussi, l’esprit de la cathédrale d’Angoulême et des grands édifices à coupoles est nettement perceptible. »

Les chapiteaux des piliers de la croisée du transept sont reliés par des segments de frises épousant les ressauts. Les corbeilles des piles orientales sont de même facture que celles de l’abside, avec un décor exclusivement végétal. En revanche, les deux piliers occidentaux se distinguent.

Les piliers nord-ouest, dont certains chapiteaux ont été remplacés par des blocs non épannelés, juxtaposent des formes végétales et des motifs figurés qui occupent le retour du pilier du côté de la nef. Ces motifs figurés regroupent un atlante, c’est-à-dire une personne plus ou moins accroupie, les bras levés qui porte sur ses épaules un élément d’architecture, ici une corniche et des quadrupèdes sculptés dans des positions acrobatiques, associés à des oiseaux.

La série de chapiteaux du pilier sud-ouest rompt avec l’esthétique de la sculpture du chevet pour introduire des chapiteaux de style corinthien. « La découpe très nette des feuilles et leur caractère répétitif suggèrent sinon une datation un peu plus tardive, du moins une rupture stylistique (…) ».

Le chantier a peut-être été simplement interrompu avant la construction de la coupole et de la nef. D’autres éléments plaident plus pour une continuité dans la construction : pas de rupture nette dans les maçonneries entre la nef et le transept.

Les voûtes de la nef sont le fruit de plusieurs reconstructions et réparations successives, jusqu’à la construction des croisées d’ogives au XVIIe siècle. Les supports qui articulent les murs gouttereaux de la nef sont de simples colonnes engagées sur dosserets, sans dispositif d’arcades. Ils sont complétés à l’extérieur par des contreforts plats. Le pendage actuel du mur méridional témoigne de la mauvaise maîtrise des poussées.

Quel était le type de voûtement de la nef au XIIe siècle ? Voûte en berceau, file de coupoles ou croisées d’ogive ? Le débat n’a pu être tranché.

Jean George[1] comparait cette église avec l’église abbatiale de La Couronne, et la présence à cet endroit de voûtes d’ogives bombées, de type Angevin. Or, rien ne permet de dater aussi tardivement la nef de Lanville. Les supports n’ont pas été conçus pour s’adapter à des croisées d’ogives. Pierre Dubourg-Noves pense par contre qu’une file de coupoles a pu être installée[2]. Christian Gensbeitel[3] nuance ces propos. Il émet l’hypothèse que l’intention du départ était peut-être d’installer une voûte en berceau. Les bâtisseurs y renoncèrent, sans trouver de solution immédiate au problème de solidité des murs pour ce mode de voûtement, sur une telle portée. Les croisées d’ogives n’auraient été construites qu’à une époque où les nervures s’étaient suffisamment affinées pour que les branches d’ogives puissent être assises directement sur les chapiteaux romans.

Le motif corinthien des chapiteaux du pilier sud-ouest de la croisée du transept a été imité sur les chapiteaux des fenêtres de la nef, mais « exprimé de façon médiocre, en très faible relief, avec des contours dépourvus de fermeté ». La corbeille placée en vis-à-vis est ornée d’un jeu de gaufrures en nids d’abeille, et les suivantes sont lisses avec de simples boutons végétaux dans les angles.

Les murs gouttereaux de la nef, d’une extrême sobriété, étaient en accord avec la façade occidentale disparue. Les photographies anciennes nous montrent que le traitement de la baie axiale était identique avec celui des fenêtres latérales.

Les vitraux actuels de l’église ont été réalisés par Coline Favre (Atelier de Tusson) en 1986. Ils redonnent une belle luminosité colorée aux espaces intérieurs.

Les peintures murales

Des fragments ou vestiges de décors peints ont été remis en valeur dans le chevet, le transept et la nef, après leur découverte lors des travaux entrepris par le service des Monuments Historiques, à partir de 1980.

Dans le chevet, une litre funéraire est visible par endroits au-dessus d’un décor de faux lambris et de rinceaux (XVIIe siècle ?), sous les ébrasements de fenêtres. Une litre est une bande noire ponctuée de blasons, qui était peinte sur les murs de l’église, lors des funérailles soit du fondateur de l’église soit du seigneur haut justicier du lieu.

Les peintures du transept sud peuvent dater de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. Le traitement des plis des vêtements des personnages, les caractères des inscriptions gothiques et la présence sur les fonds de motifs répétitifs de fleurons sont caractéristiques de cette période. Dans l’absidiole, on devine à peine une scène qui représente peut-être des pèlerins sur un fond damassé (un décor de fleur). À gauche de celle-ci, se développe une scène avec deux personnages. Une femme se tient en retrait et à droite, un homme vêtu d’un manteau d’apparat et tenant une épée. Les deux personnages sont nimbés, ils portent une auréole sur la tête. Trois phylactères (moyen graphique en illustration pour attribuer des paroles aux personnages) portent des noms en caractères gothiques (S. Noemis ? Sanctonis ? S. Andreas ?), difficiles à identifier.

Sur le mur sud de la nef, une autre figure bien conservée. Il s’agit de la partie supérieure d’un personnage assis sur un fond vert et marron, dans un cadre en forme d’arc en accolade sommé d’une croix et encadrée par des pinacles et un décor de rinceaux. Le personnage en habit bleu, semble être une femme avec une chevelure brune épaisse. Au-dessus du cadre, on lit des fragments d’une inscription « PRIES » et plus loin la lettre isolée. Christian Gensbeitel pense qu’il s’agit d’un prieur, auquel cas le personnage serait masculin. Il date cette peinture du milieu ou vers la fin du XVIe siècle.

Ce décor se poursuit dans la nef par un faux lambris que l’on retrouve aussi sur le mur nord. Les instruments du martyre (le cheval de bois, les fouets…) sont représentés de façon naïve selon Christian Gensbeitel.

Extérieur

En 1903, la façade occidentale s’effondra en raison de l’instabilité du sol. Il s’agissait d’une façade romane, avec une division tripartite, assez classique par des colonnes-contreforts. Le portail à trois voussures est encadré par des arcades aveugles développées sur deux niveaux. La travée centrale su second niveau était occupée par une baie en arc en plein cintre. Un troisième niveau existait à l’origine mais qui a été tronqué peut-être à l’occasion d’un des accidents survenus à la voûte (façade en  pignon à l’origine). Le décor y était discret, subordonné aux chapiteaux et aux bandeaux. Sa construction, selon Christian Gensbeitel, pourrait avoir eu lieu vers le milieu du XIIe siècle et même un peu au-delà. Son esthétisme relevait de la transition vers le gothique de la seconde moitié du XIIe siècle. On peut faire un parallèle avec la façade occidentale de l’abbaye de Châtres (située à côté de Cognac).

Une nouvelle façade fut reconstruite, en retrait de 8 m par rapport à la précédente.

La partie orientale de l’église était à l’origine plus basse que la nef. Elle a été rehaussée de près de deux mètres dans un but défensif. Sur la façade sud du transept, on voit nettement les traces du pignon roman. Deux bretèches sur consoles, pour flanquer verticalement les murs, ont été aménagées. Le même dispositif existait au-dessus de la fenêtre d’axe de l’abside, mais seules les consoles sont préservées. De grandes ouvertures rectangulaires s’ouvrent sur le pourtour de l’abside tandis que le mur sud du transept a conservé deux archères cruciformes et un orifice pour le tir d’armes à feu, que l’on retrouve aussi sur les bretèches. Ce type de baie ouverte dans un mur pour le tir peut dater du XVe siècle, dans le sillage de la guerre de Cents Ans, soit à l’époque des guerres de Religion (seconde moitié du XVIe siècle). Les deux grandes baies gothiques qui s’ouvrent au sud du transept ont été certainement réalisées au début du XIVe siècle, dans une volonté de mieux éclairer le chœur des religieux ou bien pour permettre à l’église paroissiale de s’installer dans le croisillon sud du transept[4].

L’abside présente à l’extérieur une décoration relativement sobre, en contraste avec son intérieur plus chargé. Elle est seulement scandée par des contreforts, qui séparent les baies en plein cintre, entourées de colonnettes. Le décor touche les modillons de la corniche (sorte de de corbeaux ornés, qui représentent souvent des figures humaines, des animaux et monstres du bestiaire roman), les chapiteaux et les frises d’archivoltes des baies.

Vingt-huit inscriptions funéraires sont gravées sur les pierres du parement extérieur de l’abside de l’église. Elles datent pour la plupart du XIIe ou XIIIe siècle. Il s’agit d’épitaphes de chanoines, dont les noms sont plus ou moins lisibles : Gérald et Aimeri « Rapace », Robert Jordan ou Arnaud d’Angers, qui devaient faire partie de la première communauté lors de l’édification du monastère.

Les bâtiments conventuels

Ces bâtiments étaient réservés à la vie quotidienne des religieux : cloître, dortoirs, réfectoire ou étaient liés à l’économie du prieuré. La période médiévale du prieuré est peu documentée, on connaît mieux les aléas de son histoire à l’époque moderne. Une gravure du début du XVIIIe siècle, exécutée à la demande de la congrégation de Sainte-Geneviève du Mont, présente une perspective cavalière du prieuré, avant sa ruine.

Les bâtiments monastiques forment un ensemble important au nord de l’église.

Le cloître gothique

Seuls les vestiges gothiques sont encore en place. Il s’agissait d’un cloître avec une galerie de circulation avec des arcades légèrement brisées, entouré de trois ou quatre bâtiments, à deux niveaux. Le premier niveau daterait de la fin du Moyen Âge et le deuxième niveau a été ajouté à l’époque classique, plus conforme au goût de l’époque. Ce sont les éléments les plus anciens qui ont été épargnés.

De la reconstruction moderne peu d’éléments ont subsisté. On observe seulement une cheminée datant du XVIIIe siècle, qui reste accrochée contre le mur nord du transept, à l’étage de l’ancienne aile orientale.

De l’ancien cloître, dont le plan était carré, les arrachements de croisées d’ogives de la galerie sud sont encore visibles le long du mur nord de la nef de l’église. Les croisées d’ogives retombées sur des nervures prismatiques et le décor sculpté très raffiné sont caractéristiques du gothique flamboyant. Ils permettent de dater la construction du cloître de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe siècle. Sur les culs-de-lampe, consoles en encorbellement servant à supporter une base de colonne, on identifie de moins en moins bien des végétaux naturalistes peuplés d’escargots et de masques. Ils sont de la même veine que les sculptures que l’on retrouve dans la tour Marguerite du château des Valois d’Angoulême.

Un petit moine tenant un chapelet était installé sur le départ d’une nervure de croisée d’ogives du cloître. Il est tombé de son emplacement et est conservé à l’abbaye de Saint-Amant de Boixe.

Des élévations de la salle capitulaire ont été préservées. C’est un lieu important de la vie monastique. Tous les chanoines s’y réunissent chaque matin et un chapitre de la Règle de saint Augustin est lu et commenté (d’où le nom de la salle), avant que le travail quotidien ne soit réparti. La façade occidentale, communiquant avec le cloître est presque complète. Elle comprend une porte en anse de panier surmontée d’une arcade.

Cette travée est encadrée par deux arcs, qui accueillaient  d’anciennes baies. Ce schéma tripartite correspond à la tradition des salles capitulaires médiévales. La salle était aussi couverte de croisées d’ogives retombant au centre sur des piliers et sur les culs-de-lampe le long des murs.

Sur la gravure (p.17), plus au nord encore des dépendances, parmi lesquelles on identifie deux pigeonniers, sont séparées de l’ensemble conventuel par une cour. Ces constructions à vocation agricole ont disparu comme le jardin à la française aménagé à l’est. Des vestiges ont été dégagés à l’ouest de la façade de l’église, lors de travaux réalisés en 1970. On y a découvert la structure d’un ancien four à pain dont le plan en abside s’ouvrant sur une pièce voûtée en sous-sol est encore visible parmi les ruines.

De nombreux éléments sculptés sont conservés en dehors du site du prieuré.

En 1866, M. Delalande[5], propriétaire des ruines du cloître du prieuré de Lanville, fait don de huit clés de voûte, datant des XVe-XVIe siècles, à la Société Archéologique et Historique de la Charente. Une tête sculptée est  conservée à l’abbaye de Saint-Amant de Boixe.

 

[1] GEORGE (J), Les église de France : Charente, 1933

[2] DUBOURG-NOVES (P), « Quelques réflexions sur les églises à coupoles su diocèse d’Angoulême et de Saintes », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 4e série, t XV, 1980.

[3] GENSBEITEL (C), Le prieuré Notre-Dame de Lanville, « Laissez-vous conter », Via Patrimoine, 2002

[4] GENSBEILTEL (C), 2002

[5] GIGON (C), BSAHC, 1866, p. XXVIII-XXX ; BIAIS (E), Catalogue du Musée Archéologique d’Angoulême, 1914, p.51-52